CIaire Chevrier.

- Journal N°1 du C.N.P - 26 février-31mars 1997

CIaire Chevrier, Journal N°1 du CNP
26 février- 31mars 1997.

Les paysages mi-ruraux, mi-industriels de Claire Chevrier font s'entrecroiser les signes de plusieurs temporalités. Il y a ainsi dans Le Claps une opposition très forte entre ces deux blocs de roche, comme tombés là depuis un temps originel, et la passerelle métallique qui barre l'image en se substituant à l'horizon. L'architecture industrielle de la Cimenterie de Cruas produit visuellement un cadre interne à l'image qui découpe le ciel et isole une cité médiévale.

La composition de ces photographies apparalt comme très précisément construite pour donner à voir cette sédimentation de l’Histoire dans le paysage. Présents insidieusement à l'entrée d'un village ou dans un faubourg, ces legs de la civilisation industrille, de l'usine à la centrale nucléaire, posent la question de la place de l'homme au sein de l'environnement qu'il façonne.

Ce choc entre nature et culture est aussi très présent dans la figure générique du Chasseur, qui apparalt comme une figure du passage entre la vie et la mort. Les photographies du Stand de tir nous confirment ce fait qu'avant d'étre une activité prédatrice, le tir est une affaire de vue. Les canons superposés figurent en autant de ligne de mire parallèles une puissance de feu contenue mais imminente. Viser impose un état de vigilance où l'oeil et l'arme sont liés. La froide violence de cette mise en joue est à l'œuvre dans l'Arbre à la cabane, poste de guet camouflé dans le branchage d'un arbre, comme dans toutes les photographies de Claire Chevrier.

Le Bunker, autre édifice de guet, est aujourd’hui présent dans le paysage comme un vestige de guerre, comme l'illustration de l’Histoire. A travers unemeurtrière, qui, telle une prothèse optique, nous impose un regard panorarnique sur l’horizon marin depuis le point de vue du tireur, Claire Chevrier conçoit le paysage comme un champ de bataille. La maîtrise visuelle du territoire est cruciale dans son travail, en témoigne son utilisation d'images satellites (Ile d'Haraïki*,Temple d'Angkar*). Si elle nous permet de voir le lointain, c'est de l'intérieur d'un edifice qui posséde aussi de nombreuses analogies formelles avec certaines architectures funéraires.

A l'opposé, d'autres photographies refusent la profondeur de champ et interdisenl toute perspective en plaçant au premier plan l’objet photographié (une tour, un mur de paille, une tombe...), qui fait écran. Cette impression est renforcée par le format important de l'image (100 x 150 cm). Le regard se heurte à la surface du bêton brut d'une tombe prise en contre-plongée (Tombe, Isére) qui se dresse face à nous avec la force de l'évidence. Du travail de la ruine (Maison démolie) à la disparition de l'image par sa dégradation chimique (Paysage explosé), les photographies de Claire Chevrier fonctionnent ainsi comme des métaphores de la précarité du vivant face au temps propre du monde.

Pascal Beausse

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