Claire Chevrier.

Pascal Beausse - "Transit", ENSBA, Paris - 1997

Claire Chevrier, in Transit - oeuvres du fonds national d'art contemporain, cat. d'exp. coll., Centre national des arts plastiques - Ecole nationale supérieure des Beaux-arts, Paris, 1997.

Claire Chevrier construit depuis plusieurs années un corpus d'images qui, si elles semblent autonomes, n'en sont pas moins reliées par de nombreuses ramifications. La guerre est très présente dans son travail, du Soldat de plomb (1991 ) foudroyé, figé dans sa chute, au paysage envisagé comme un champ de bataille à travers la meurtrière d'un Bunker (1997). Ses paysages mi-ruraux mi-industriels font s'entrecroiser les signes de plusieurs temporalités.
En donnant à voir la sédimentation de l'Histoire dans le paysage, les stigmates laissés par la civilisation industrielle en pleine campagne, elle pose la question de la place de l'homme au sein de l'environnement qu'il façonne.
"Nous nous tenons à l'écart des centrales atomiques, elles sont une calamité qui ne devrait pas exister. Il suffit de considérer les risques infiniment plus élevés que les centrales nucléaires font courir aux générations à venir, en comparaison des mines de charbon ou des hauts fourneaux" (Hilla Becher).
Si l'absence de centrales nucléaires dans les typologies industrielles de Bernd et Hilla Becher est éloquente, il faut par ailleurs se souvenir qu'ils ont joué du rapprochement, en une même photographie, d'une usine et de maisons d'ouvriers. Plusieurs photographies de Claire Chevrier montrent cette juxtaposition, d'autant plus impressionnante lorsque la maison ou le lotissement semblent, par un effet de compression des plans, collés à la centrale. Leeds (1995) est à cet égard une photographie particulièrement démonstrative. Une maison s'inscrit plastiquement sur une centrale nucléaire. Coincée entre un rideau d'arbres dépouillés et les monumentales cheminées de refroidissement, mêlant la fumée de ses cheminées de brique à la vapeur sortant des tours de béton, elle met en évidence la fragilité de l'être humain, mais aussi sa capacité à habiter le monde dans des situations extrêmes.
Lorsque l'homme apparaît dans les photographies de Claire Chevrier, il assène un geste de grande violence. La figure du tireur est récurrente dans son travail: soldat, chasseur, sportif, il apparaît comme la figure générique du passage entre la vie et la mort. Stand de tir (1995) appartient à cet ensemble. Les canons superposés figurent en autant de lignes de mire parallèles une puissance de feu contenue mais imminente. Il nous est ainsi confirmé qu'avant d'être une activité prédatrice, le tir est une affaire de vue. Viser impose un état de vigilance où l'oeil et l'arme sont liés.
La froide violence de cette mise en joue est à l’œuvre dans toutes les photographies de Claire Chevrier. Cibles, poste de guet camouflé dans le branchage d'un arbre, bunker, mais aussi images-satellite affirment l'importance vitale de la maîtrise visuelle du territoire. Si toute photographie induit le point de vue de l'observateur, par leur force d'évidence les œuvres de Claire Chevrier disent toute la puissance du regard, potentiellement meurtrier.

Pascal Beausse

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