Un jour comme les autres... Un jour sans fin

François Cheval - 2008

La photographie contemporaine du paysage urbain a rompu la relation esthétique et historique que l'on entretenait avec la grande ville, la métropole. On est loin désormais de ces descriptions ardentes et dithyrambiques à la gloire de ces agrégats de monuments, de palais et de places. Quand John Erskine préfaçait le « New York » d'Andréas Feininger, il lui était légitime d'énoncer : « Andreas Feininger, who made these splendid pictures, chose his subjects, we must suppose, for their photographic values. But either by intention or by happy instinct he has stressed the circumstance which gives New York its quality and causes it to be distinct from other cities.” [1]
La ville moderne avait sollicité la photographie pour se doter d'une identité et, par là, marquer ses différences ; rupture avec la campagne (la nature et le sauvage), supériorité sur les métropoles concurrentes.
L'hommage que la photographie rendait au triomphe de la cité et de l'urbanité n'était rien d'autre que sa soumission volontaire et enthousiaste à la machine, au « progrès » et à la nation. Ce sont ces raisons essentielles qui ont rapproché la photographie et la ville. Toutes deux se sont identifiées à la modernité, l'ont recouvert jusqu'à engendrer la métaphore semblable d'un corps organique et autonome, jusqu'à l'absurde [2] .
La mégapole a détruit cette relation euphorique. Les techniques actuelles de l'image fonctionnent mal comme modificateurs de conscience et proposent plus aisément du désenchantement qu'une vision prospère. Et nous qui regardons, qui voudrions comprendre, et ne pas subir, comment ne serions-nous pas troublés par les voies récentes ouvertes par la convergence des nouvelles images et des mégapoles, par le déferlement ininterrompu des images de toutes sortes et la prolifération de ces villes improbables et incontrôlables.
Castoriadis, Hanna Arendt, Debord, nous avaient mis en garde. Le fait technique, feignant l'indifférence, se dresse comme la mère de toutes les catastrophes. La répétition des mêmes faits, leur généralisation sur l'ensemble de la planète, clôt définitivement la question de l'autonomie machinale de ces inventions que sont la photographie et la ville. Il n'y a plus de place pour le hasard. Ce que la durée inscrit désormais dans l'Histoire, les conséquences auxquelles nous aurons à faire face, ne sont rien d'autre qu'une dialectique de l'accident et de la résistance.

 

Le travail photographique de Claire Chevrier ne se réduit pas à ces deux termes. Mais ils s'inscrivent dans la logique de construction de cet objet intitulé « Paysages-Villes » qui fait de la mégapole le sujet.
Une matière qui se présente à tous comme l'imposture suprême, le Léviathan tant décrié, un lieu souterrain [3] prédit par Baudrillard.
En fait, la mégapole grouille de refus passagers, elle recycle les objets familiers. Là où l'homme semble condamné, la structure urbaine s'ouvre sur l'anarchique, l'incontrôlable, l'obscène, la communauté et ses secrets. Face à ce constat photographique d'un paysage homogénéisé qui nous accable, devant la pauvreté des matériaux utilisés, le « bon goût » se révolte. Mais à y regarder de plus près, on entrevoit dans chaque image un objet dérisoire dans les marges, un olivier, une terrasse squattée, et partout de la tôle. Les bordures accueillent une parcelle de végétal, on y aménage un chemin. La palissade faite de matériaux de récupération crée des interstices dans le Léviathan post-moderne. Des situations insignifiantes qui rapportent des micro-événements, des arrangements avec la brutalité, des accommodements avec le réel.
La manifestation actuelle de la cité, effrayante et continuelle, fractale, est inséparable de toutes les formes du bricolage et doit se résoudre à composer avec les mentalités et les structures sociales qui lui préexistent. Au-delà même de l'aveu d'impuissance, la mégapole recrée en son sein les systèmes traditionnels. Dans ce système où la nature régresse, quand les inégalités s'accentuent, le pittoresque s'éteint. Il cède sa place aux relevés, à des notes qui sont les obscurs indices qu'il nous faut découvrir ; les signes repérés par Claire Chevrier. Il est impératif de les rechercher si on ne veut hériter du regard ahuri des amateurs de photographies de voyage, regard jamais débarrassé du pittoresque, qui ne verra que contrastes là où se formulent les dissymétries, les oppositions et les distorsions. Parce que l'on a voulu voir uniquement les mutations brutales, porter un jugement moral, on n'a pas su percevoir la permanence du jardin, de l'enclos et de la palissade.
L'imprégnation par les photographes de l'histoire européenne et américaine de la ville moderne a obscurci la lecture de la ville post-moderne et faussé la compréhension de ses formes contemporaines, bien souvent extra européennes. Il nous semble que tout se ressemble dans une composition structurée d'informel, où rien n'a de valeur, qu'achever, finir, embellir sont des verbes vides de sens. La seule culture partagée des habitants de ces villes qualifiées, sans imagination, de « tentaculaires » et d'« inhumaines » serait l'abandon.
Le sens commun et la vision cultivée se rejoignent dans une perception négative rejetée par Claire Chevrier.
Les paysages urbains, tels qu'ils sont saisis ici, opèrent la greffe entre le monde magique de la ciguë et la sphère de la spéculation foncière. Ils font leur compte entre pensée pré-logique et mathématique comptable. Ils isolent des faits qui relèvent du refus et de la révolte face à l'hyper concentration urbaine qui amène les populations à préférer des configurations qui bien souvent s'apparentent à des formes traditionnelles ; avant le règne de la marchandise.

La photographie nous impose un face à face. Il faut faire front. Sur le même plan de l'image, une ligne horizontale sépare deux mondes incompatibles dont l'un dispose d'une implacable logique, celle de l'empiètement et de l'appropriation. Mal définitif, l'urbain rogne chaque jour sur ses bordures et l'on n'imagine pas d'autre alternative au développement urbain que ce grignotage incessant dans un double mouvement d'avancée horizontale et verticale.
Quand la ville ne s'attaquait qu'au ciel, elle aimait, pour que l'on comprenne sa puissance, qu'on la photographie vue de haut, ou au ras du sol. La chambre photographique la rendait précise, autorisait les inventaires et les dénombrements. Les petits formats indiquaient le mouvement et la vitesse. Ils saisissaient l'énergie dont il fallait rendre compte [4] . Cette ville, qui n'est plus, scellait le rapprochement de l'architecte et de l'entreprise. L'alliance révélait leur fascination commune pour les structures et les constructions de toutes sortes : planifications illusoires du taylorisme, plans quinquennaux, préceptes de la Charte d'Athènes... Le gigantisme des gratte-ciels marquait l'ambition non plus d'une communauté réduite mais d'un petit groupe d'entrepreneurs et de planificateurs pour le profit de tous.
Tours et buildings, rues et avenues bien tracées, pylônes et fils électriques, dispositions géométriques de fenêtres, la liste des « matériaux », - ces éléments formels qui abondaient les photographes d'angles et de lignes parfaitement droites -, s'agençaient à merveille dans un ordre spatial organisé par une élite du mérite.
La photographie américaine a porté avec exaltation la splendeur de la cité moderne. La nature identitaire du regroupement de groupes sociaux dans un cadre bâti était au centre de la production photographique. La fonction de l'opérateur était de dévoiler ce qui se dissimulait derrière les contrastes apparents. Mais « in fine », à l'imitation de comédies musicales, en dépit des oppositions irréductibles, les contradictions urbaines se résolvaient dans un ensemble harmonieux cosmopolite et universel : « I have tried very sincerely to present a carefully balanced mixture of grandeur and misery, of human life and lifeless stone, of streets and docks, of panoramas and close-ups, of pictures by day and by dusk and by night, of gay and tragic situations, including the men on the Bowery and the pleasure-bent crowds on Broadway.” [5]

« Paysages-Constructions », les « Villes-Constructions » nous délivrent de nombreuses influences et des sentiments qui obscurcissent généralement le sujet. La mystique de l'industrie a disparu et avec elle la fascination pour les marques de la modernité. Les ponts ne sont plus les marqueurs du progrès, leurs structures se posent « pauvrement » comme de simples nécessités. La « rigueur » et l'« exigence », les dieux révérés par les architectes, ont été bannis. La pureté et l'impureté de la ville sont révoquées, comme la recherche de sa vérité.
Nulle part dans le corpus de Claire Chevrier, la notion de territoire ne s'impose. Là où d'autres ont souhaité élaborer une image du paysage urbain, tel que l'on soit à même de l'identifier, en imposant des signes immédiatement reconnaissables, Claire Chevrier organise une reconstruction par la technique du rapprochement de prélèvements, de fragments, d'états des lieux. C'en est donc fini de la caractérisation et de la psychologisation du document.
Ce dont il s'agit n'est rien moins que la tentative d'établissement d'un faisceau de faits dont la mise en relation devrait être signifiante. Claire Chevrier procède méthodiquement ; elle traverse son objet de l'extérieur vers l'intérieur pour en recevoir les signes et les signaux en ne se référant plus au modèle de la ville exemplaire (centralité, flux contrôlé des déplacements automobiles, circulation périphérique, techniques de construction, réalisation d'unités fonctionnelles d'habitation). Le cheminement dans l'incertitude est la seule évidence dans un univers sans droit qui se nourrit du plein et du vide ou plutôt du construit (le plein) et du constructible (le vide). Pénétrer dans cet objet, qui, répétons-le n'est pas à caractériser, constitue une opération difficile. Le faubourg n'a de réalité qu'éphémère puisque la banlieue dans cette nouvelle configuration s'étend indéfiniment. La vue panoramique est inutile. On assiste, chaque jour, en temps réel, au débordement d'un corps chargé d'absorber l'exode rural massif [6] , à l'organisation de la vie dans des conurbations aux limites imprécises, enchevêtrant les restes de la ruralité dans des zones urbaines. La ville post-moderne est une structure qui ne se projette pas dans l'avenir. Elle dévore les ressources de la planète. Elle est dans l'incapacité de maîtriser quoique ce soit. Elle ne se maîtrise pas...
Ce qui de fait, dispense la mégapole de se pourvoir d'enceinte publique. Et comme l'Etat a disparu, elle réinvente la clôture et impose un nouvel ordre visuel compréhensible par tous sans pictogrammes, sans panneaux et sans signalisation [7] . La loi non-écrite est comprise de tous.
Etre à l'intérieur ne signifie donc rien, et le mot s'avère impropre. Dans un champ de vision toujours circonscrit, la proximité crée une promiscuité qui n'est pas sans rappeler la ville médiévale. La disparition de l'Etat a produit une situation inédite, la juxtaposition de zones qui ne méritent plus l'appellation de quartiers [8] . Les seuls espaces de convergence sont dorénavant les stades de football, objets de tous les soins. Car entre zones, la communication s'interrompt. Le lien s'est brisé dans ce qui n'est plus qu'un territoire de lutte et de survie entre nantis et populations précaires. La mégapole ne cherche pas à donner d'elle-même, comme le faisait autrefois les capitales, une image rassurante et consensuelle. Elle rejette les fonctionnalités et, paresseuse, n'assume que l'essentiel, la sécurité [9] .
Les signes divers (antennes satellitaires, éclairage public, trottoirs, jardins publics, espaces utilitaires, jardins potagers, vergers, pâturages, etc.), qualifient quartiers privatisés et sécurisés du reste (banlieues, favelas, bidonvilles, taudis, etc.). L'acier et le verre pour les uns, le béton, le moellon et le fer pour les autres. Transferts financiers et trafics, chantiers et petits métiers, transactions et ventes à la sauvette, limousines et taxis ; ces mondes ne se touchent plus et ne se voient plus. A l'absence de services publics répond l'omniprésence des marques et des panneaux publicitaires. Le langage des signes s'appauvrit et se réduit aux mises en garde, incite sans vergogne à la consommation. Voilà ce qui fragilise la mégapole ces images : l'autisme.

Une telle polarisation n'est pas nouvelle et rappelle la violence de classe, inscrite dans l'espace, qui sévissait à Londres au XIXème siècle, violence décrite par Flora Tristan [10] . La même histoire, qui bégaie, se retrouve aujourd'hui dans les « global cities » de Chine, de Thaïlande, d'Inde, du Brésil, du Nigeria, pays traversés par Claire Chevrier. Les êtres y sont réduits à l'état d'esclaves, soumis au travail forcé, exploités à des fins sexuelles. Chaque quartier est une forteresse, un atelier géant, une prison, un lupanar.
Mais à la différence des COED (Cities Of Exacerbated Difference), sous le règne de Victoria, la capitale de l'Empire britannique assignait à l'architecture un rôle de représentation théâtrale du pouvoir. Le post-modernisme a condamné la construction emblématique de la ville. A Sao Paulo, on ne s'embarrasse plus du décor et de l'ornementation. Ailleurs, au Caire, les notions d'embellissement n'ont pas plus de sens. Et le « beau coup d'œil », ce par quoi on se sentait appartenir à un espace et membres, malgré tout, d'une communauté plus vaste, s'est dissipé. Les « voyous » flânaient dans « leur » ville. Ils savaient le nom de toutes les rues. A Bahia, Antonio Balduino « était libre dans la religieuse cité de la Baie de tous les Saints et du père de Saint Jubiaba. Il vivait la grande aventure de la liberté reconquise. Il habitait la ville entière. Elle était à lui. » [11]
Tous avancent dorénavant comme des étrangers dans leur ville, des réfugiés ou des assiégés dans leur quartier.

Pollution, corrosion, poussières, gaz, le grand absent de la ville post-moderne, c'est le soleil. Il ne s'est pas retiré... On l'a chassé. L'industrie l'a gommé de l'image. Le photographe, qui en dépend, n'a dans cette affaire rien à se reprocher. La photographie d'un nouveau millénaire ne serait-elle pas en train de fixer, non pas la mémoire de la transformation des villes que l'éloignement du soleil ? Le numérique accompagne sans regret cette disparition de la lumière. Sa raison d'être repose sur ce postulat, cette absence. L'expérience urbaine, pour plus d'un humain sur deux a pris une forme définitivement invariable. Celle d'un monde où les notions de proche et de lointain n'ont plus de sens. La géographie oscille entre la sécurité des objets familiers et la crainte de la frontière si proche, entre la reconnaissance des siens et l'inconstance de la lumière.
Le corpus planétaire de Claire Chevrier ne doit s'entrevoir que dans la recherche inutile d'îlots colorés dans des zones opaques. Les îlots colorés, les tâches, sont les bricolages et les petites résistances qui échappent aux lois statistiques, aux planifications, aux intérêts. Ces petits objets visuels sont en fait les traces dessinées dans le paysage par des populations qui ont su adapter leur vision et leur approche de l'environnement urbain. Le passé n'est plus qu'un arrière-plan sans références et seules les proximités familiale, clanique, tribale sont à même de les soustraire des formes nouvelles d'autant plus hallucinatoires que la vie sans soleil trouble la vue.

« L'hallucination n'est pas une perception, mais elle vaut comme réalité, elle compte seule pour l'halluciné. » Maurice Merleau Ponty

[1]New York, photographs by Andréas Feininger, with an introduction by John Erskine, picture text by Jacquelyn Judge, Ziff-Davis Publishing Company, 1945.
[2] « Ce travail sur une dimension évolutive, vivante, à partir de l'architecture, se retrouve aussi dans des démarches artistiques, ainsi deux jeunes artistes marseillais, Christophe Berdaguer et Marie Péjus, qui avec les architectes Décosterd et Rahm, ont développé « une ville hormonale », ou un projet autour de la neurodomotique. Ils prennent également en compte la question du passage du temps dans les « Maisons qui meurent ». Ils ont aussi fait vieillir les personnages de photomontages d'Archizoom ou de Superstudio... ». Des Champs Actifs, Marie-Ange Brayer, in Le Bati et le Vivant, Semaines européennes de l'Image, Paul di Felice & Pierre Stiwer, 2002, p.116.
[3] « Plus tard les villes seront extensives et inurbaines (Los Angeles), plus tard encore elles s'enseveliront et n'auront même plus de nom. Tout deviendra infrastructure bercée par la lumière et l'énergie artificielles.» Amérique, Jean Baudrillard, Editions Descartes et Cie, 2000. p 49.
[4] Récemment encore la fascination pour l'énergie de la grande cité s'exprimait lyrique et enthousiaste : « Pourquoi les gens vivent-ils à New-York ? Ils n'y ont aucun rapport entre eux. Mais une électricité interne qui vient de leur pure promiscuité. » Amérique, Jean Baudrillard, Editions Descartes et Cie, 2000, p 40.
[5] New York, photographs by Andréas Feininger, with an introduction by John Erskine, picture text by Jacquelyn Judge, 1945, pp. 97-98.
[6] Faire face à l'afflux de paysans et les transformer en ouvriers. Telle est la tache confiée à la mégapole. En Chine, Shenzhen ou Chongqing n'étaient, il y a vingt ans, que de petites bourgades. A l'heure où nous écrivons, elles ont dépassé les dix millions d'habitants.
[7] « Conformément à l'idéologie du marché libre, les décideurs à Calcutta ont d'ailleurs opté pour un retrait radical. La dérégulation a même pris des proportions qui dépassent de loin les rêves les plus fous du couple Thatcher-Reagan. Les feux rouges ont fait les frais d'économies budgétaires, et leurs installations électriques ont été privatisées – au sens le plus littéral du terme... ». Calcutta now ! Geert Lovink et Patrice Riemens, in Cities on the move 2, art et architecture en Asie, capcMusée d'art contemporain de Bordeaux, arc en rêve centre d'architecture, exposition du 4 juin au 30 août 1998, p 62.
[8] « A Jakarta, les contrastes et antagonismes brutaux de la ville planétaire vous sautent à la figure. Le paysage est parsemé de hautes tours rutilantes et climatisées, souvent construites par de célèbres architectes étrangers. Chacune est isolée du voisinage par des clôtures, des sas de sécurité et des gardiens, mais reliée électroniquement aux grandes capitales d'Asie, d'Europe et d'Amérique. Dedans, on trouve des téléphones, des télécopieurs, des ordinateurs, des télévisions raccordées aux satellites et à CNN. Dehors, parmi les tours et les canaux pollués, des millions de gens vivent dans des villages urbains absolument sordides. » Le Kampong planétaire, William J. Mitchell, in Cities on the move 2, art et architecture en Asie, capcMusée d'art contemporain de Bordeaux, arc en rêve centre d'architecture, exposition du 4 juin au 30 août 1998, p 37.
[9] Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les mégapoles ne détiennent pas les bilans les plus catastrophiques en termes d' « insécurité ». Des villes comme Port Moresby, le Cap ou La Nouvelle-Orléans ont des statistiques plus alarmantes.
[10] « Le contraste que présentent les trois divisions de cette ville est celui que la civilisation offre dans toutes les grandes capitales ; mais il est plus heurté à Londres que nulle autre part. On passe de cette active population de la Cité qui a pour unique mobile le désir du gain à cette aristocratie hautaine, méprisante, qui vient à Londres deux mois chaque année, pour échapper à son ennui et faire étalage d'un luxe effréné, ou pour y jouir du sentiment de sa grandeur par le spectacle de la misère du peuple !...Dans les lieux où habite le pauvre, on rencontre des masses d'ouvriers maigres, pâles, et dont les enfants, sales, et déguenillés, ont des mines piteuses ; puis des essaims de prostituées à la démarche éhontée, aux regards lubriques, et ces brigades d'hommes voleurs de professions ; enfin, ces troupes d'enfants qui, comme des oiseaux de proie, sortent chaque soir de leurs tanières pour s'élancer sur la ville, où ils pillent sans crainte, se livrent au crime, assurés de se dérober aux poursuites de la police qui est insuffisante pour les atteindre dans cette immense étendue. » Promenades dans Londres, Flora Tristan, Editions Gallimard, collection Folio, 2008, pp24-25 (première édition : 1840)
[11] Bahía de tous les Saints, Jorge Amado, Club Français du Livre, 1954, p. 49.

François Cheval

 

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