Un monde qui passe.

Jean Marc Huitorel - Le creux de l'enfer - 7 octobre-24 novembre 1997

LE CREUX DE L'ENFER
présente Claire Chevrier
du 7 octobre au 24 novembre 1997
Un monde qui passe

"Aprés les champs et les forêts, les villes et leurs quartiers seront vidés de leurs travaux et de leurs commerces sociaux, I'espace urbain sera ruiné après celui des campagnes"1. "Admettre la mouvance plus que la forme c'est d'abord changer le rôle du jour et dela lumière"2.

Paul Virilio

En effet, Claire Chevrier a commencé par changer le rôle du jour et de la lumière. C'est même quasiment à cela que se reconnaissent la plupart de ses photographies. Une lumière gris-bleutée, non pas froide mais autre, une lumière de suspension et de bascule, un jour de seuil et d'attente. Une tonalité douce et catastrophique. A la mesure de ses sujets: ruines discrètes, entropies inscrites, fusils épaulés comme métaphore de l'acte photographique et qu'on pourrait définir par ces mots du même Virilio: "nouveau mixte qui associe le moteur, I'oeil et l'arme". Mais cela dans une lumière telle que je la décrivais plus haut, entre le souvenir des éclairs (le XXème siècIe en produisit de fameux) et l'attente de l'issue, entre fin d'un (du)monde et fraîcheur des aurores. Le monde de Claire Chevrier est tout d'ambivalence et, de fait, relève davantage de la mouvance que de la forme dans le sens précis où fréquemment ce qui, dans le réel, apparaissait comme forme, bascule dans l'image vers l'amorce d'une nouvelle apparence.
Ainsi des pavillons anglais happés par les silos de refroidissement de la centrale nudéaire, ainsi de la croix sur la tombe qui vire àla mitrailleuse, etc... Jusqu'à présent, elle s'était contenté d'accrocher ses photos au mur. Les voici, dans le creux même de l'enfer, dans le creux du Creux, en résonnance avec le lieu, comme si, par ailleurs, le monde dont elles faisaient la proposition n'attendait que cette occasion pour s'affirmer comme univers cohérent et rassemblable, comme circulation. En soumettant ses images à différentes instances d'apparition (I'empreinte sur papier d'architecte, le caisson lumineux), Claire Chevrier invite à une expérience de l'image des origines (la mine, la forge, ia mère également) autant qu'à l'origine des images (la fenêtre et la grotte). La mise en place de dispositifs photographiques est toujours périlleuse en ceci que la photo ne peut alors ni se réfugier dans sa frileuse ontologie ni fuir vers les séductions du tableau: elle se trouve sommée de s'y révéler tout en révélant la réalité forte qui l'entoure et ici à Thiers plus que partout ailleurs. Elle y parvient.

Jean-Marc Huitorel, Septembre 1997

1 Paul Virilio, "Un pavsane d'événements", Galilée, 1996
2 Paul Virilio, "Esthétique de la disparition" Balland, 1980, Galilée, 1989

Le Creux de l'Enfer, Centre d'art contemporain,
Vallée des Usines, 63300 Thiers
Tél (33) 73 80 26 56 - Fax (33) 73 80 28 08

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