Xavier Canonne

Xavier Canonne - 2013

L'on pourrait, concernant Claire Chevrier, évoquer une stratégie d'approche de la ville. Pas de flânerie, ni d'immersion dans ses quartiers, pas de rencontres improvisées avec ses habitants, mais le besoin d'en baliser l'espace, d'en tracer le cadastre.

Le plan n'est pas ici destiné à l'orientation dans le labyrinthe des rues, mais à la perception d'un périmètre visant à dégager la ville de ce qui la défend à l'œil, en complique l'abord, pour retrouver en ses franges la trame du tissu. Ce dispositif convie Claire Chevrier à des images panoramiques autant qu'à des plongées précises dans la ville, coups de sonde menés depuis le sommet des édifices, des buildings, ou depuis la nacelle d'un camion-élévateur, en une vision distincte de celle du piéton, proscrivant tout pittoresque pour convoquer l'essentiel. En ces images qui tendent à l'épure, pas de froideur pourtant, ou le sentiment d'un acte technique : Claire Chevrier se tient à la frontière du document et de l'œuvre d'art, consciente que le spectateur trouvera en ses images ce qu'il veut y prendre. De ces points élevés, la photographie enregistre avec plus d'acuité la limite du bâti, les lacunes post-industrielles et les zones en devenir, le flux ou le reflux d'une végétation sauvage ou domestiquée, et les lieux de l'activité industrielle qui sont l'autre volet de son travail, celui-ci étant plus volontiers envisagé comme espace scénique, une activité qui a façonné Charleroi, laquelle l'a à son tour définie.

Cette nécessité d'organisation – ordonner pour et par l'image le chaos d'une ville en complète mutation – ne s'impose pas pour autant en une typologie façon école de Düsseldorf, un dispositif rigide auquel Claire Chevrier s'empêcherait ensuite de déroger. La méthode vient souvent le céder à l'intuition, et la tache colorée d'une bâche, d'une façade, la structure d'un immeuble peuvent l'inciter à diriger son objectif dans leur direction pourvu qu'à leur départ le choix du cadrage permette l'agencement du réseau des rues et des bâtiments. En cette logique, Claire Chevrier n'entend pas plus céder à la tentation de ciels chargés, de trottoirs mouillés ou d'ombres envahissantes : le ciel étale ou laiteux, s'il est présent dans le cadre, la lumière diffuse ne viennent en rien détourner du sujet, quand bien même le paysage l'imposerait. L'intemporalité qu'elle souhaite pour ses paysages en accroît les lignes et le dessin, conférant à l'intervention humaine et à la végétation un égal statut, répétant en chaque image l'énoncé de la frontière, de la limite, du difficile équilibre entre l'homme et la nature. La démonstration n'en est que plus perceptible dans la représentation des lieux de l'activité humaine, usines ou manufactures, hôpitaux ou bibliothèques d'architecture récentes ou plus anciennes; ce parti-pris de la composition, le choix du cadrage – avant-plans dégagés et ligne d'horizon à constante hauteur –, la neutralité dans l'approche renvoient au dessin, à l'exercice d'un paysage débarrassé de ses enseignes, livrant les édifices à la géométrie, aux rapports de volumes qu'accrédite le peu de profondeur de champ. Ainsi, la nature de l'entreprise n'est-elle que suggérée par des éléments externes, à moindre échelle, engins de chantier, camions ou bateaux.

C'est avec le même souci d'ordonnance que Claire Chevrier aborde l'espace intérieur de l'entreprise qui s'en trouve comme théâtralisé, même si aucun des protagonistes n'est sollicité pour la composition. A l'instar des paysages, elle optera pour le point de vue qui lui offrira l'information documentaire autant que l'équilibre visuel, privilégiant la gestuelle du travail, l'absorption du travailleur dans l'opération qu'il conduit, qu'elle se déroule au cœur d'une cathédrale d'acier ou dans l'espace confiné du laboratoire, quand ce n'est, vide de toute figure humaine, un chantier au temps suspendu affirmant ses étranges objets ; et les plans qui le conduisent successivement vers la trouée d'une fenêtre, la baie d'une porte, renvoient singulièrement le spectateur à l'extérieur, formant une photographie au sein de la photographie.

Xavier Canonne

Directeur du Musée de la Photographie

Après Bernard Plossu, Dave Anderson et Jens Olof Lasthein, Claire Chevrier est le quatrième auteur à se voir confier par le Musée de la Photographie une mission photographique dans la ville de Charleroi.

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